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26 mai 2005

1.2. Le politique et les ONG : partenaires ou pions sur un échiquier

Afin d’illustrer ce paragraphe, j’ai volontairement choisi de retranscrire mot pour mot l’article qui suit, paru dans l’hebdomadaire Télérama (2004 – Signe du Temps – Weronika Zarachowicz).

En effet, particulièrement intéressant et riche en histoire, il permet de bien appréhender le milieu ainsi que le contexte dans lesquels sont plongées ces instances non gouvernementales depuis leur création à aujourd’hui.

« Les organisations humanitaires traversent une crise sans précédent, elles risquent même de disparaître, faute d’avoir su sauvegarder leur indépendance et leur impartialité. » Ce constat radical qui provoqua débats et polémiques aux USA est celui du journaliste américain David Rieff, qui, durant 10 ans a suivi, observé, « admiré » les travailleurs humanitaires en Bosnie, au Soudan, au Rwanda, en Afghanistan ou en Angola. Jugé très critique, il va de ce fait à l’encontre de l’air du temps qui place les organisations humanitaires en situation de toute puissance. D’ailleurs il rappelle lui-même que l’histoire de l’humanitaire moderne – dont Médecins sans Frontières (MSF), créé en 1971, est devenu l’emblème – est celle d’un succès fulgurant.

« En trente ans à peine, l’humanitaire a conquis une place centrale dans l’imaginaire collectif occidental. Alors même que s’effondrait l’utopie communiste et que, sous l’impulsion de R. Reagan et de M. Thatcher, les démocraties occidentales sous-traitaient une partie croissante de leur action publique, l’idéal humanitaire est apparu comme LA solution, le substitut au désengagement des états, puis une forme de religion séculaire, un nouveau mythe moderne. En bref, les french doctors et leurs collègues, avec leur aura de sainteté et d’altruisme, sont devenus un «espoir pour une époque désenchantée », nous dit Rieff. Ils n’ont cessé de gagner en reconnaissance et en pouvoir. Mieux, ils se sont progressivement insérés dans le nouveau jeu international, jusqu’à en devenir des acteurs incontournables.

Sauf que, dénonce D. Rieff, nos missionnaires modernes se sont faits berner. Malgré les meilleures intentions du monde, ils ont été victimes de leur propre succès. Ils sont effectivement intégrés. Mais à un tel point qu’ils sont condamnés à n’être plus que de simples auxiliaires des gouvernements occidentaux, totalement instrumentalisés et inféodés à leurs logiques politiques. Ils se sont mis au service de la révolution du droit et de la morale de l’après guerre froide. Mais ils ont sacrifié sur l’autel de « l’empire du Bien » les valeurs mêmes sur lesquelles ils s’étaient construits – l’indépendance et l’impartialité, indispensables pour aider les victimes. Ainsi en Sierra Leone, des humanitaires rangés aux côtés de l’ONU et des Britanniques, ont finalement refusé d’aider une partie des populations, parce qu’elles étaient du « mauvais » côté, et sous prétexte que cela compromettrait le processus de paix…

Pourquoi cette évolution ? Pour des raisons de survie financière – sur lesquelles Rieff passe d’ailleurs un peu vite – puisque la grande majorité des ONG sont devenues toujours plus dépendantes des bailleurs de fonds, gouvernements occidentaux et Nations unies. Et surtout, pour des raisons idéologiques, en adhérant au nouvel interventionnisme militaro-civilisateur. Mais objectera t-on, les humanitaires ont-ils vraiment eu un autre choix que de rentrer ainsi dans le rang ? Et sont-ils les seuls responsables de ces mutations ? Pas sûr, tant l’action publique a fondamentalement évolué dans ces trente dernières années, tant les politiques ont abusé des ONG pour se dégager de leurs propres responsabilités… n’hésitant pas à manipuler le message humanitaire à leur profit. On se souvient encore de , étape cruciale, vécue par beaucoup comme un Waterloo de l’humanitaire, où les ONG ont servi d’alibi moral pour justifier la non-intervention militaire des gouvernements occidentaux, de 1992 à 1995. David Rieff lui-même a pris conscience de ces impasses en couvrant les conflits des Balkans : « A une action politique, soutenue par la menace crédible d’une force militaire, les puissances occidentales ont substitué un effort humanitaire massif, sans commune mesure avec la réalité des besoins. « L’endiguement par la charité » comme le disait un fonctionnaire onusien… »

Face à cet abandon, les ONG ont de plus en plus défendu l’idée que leur travail devait aussi, voire surtout, être politique et fondé sur la défense des droits de l’homme. « Certains travailleurs humanitaires ont cru que c’était la seule façon de sortir du problème », résume Rieff. Et puis ils ont aussi péché par orgueil, par une ambition démesurée. « Ils se sont mis à rêver d’un humanitaire qui deviendrait une force de changement, une espèce de militantisme démocratique qui pourrait vraiment forcer les gouvernements à assumer leurs responsabilités. Peut-être était-ce inévitable. Mais un idéal fondé sur des valeurs universelles et une neutralité inflexible peut-il être politisé avec succès ? » Une évolution d’autant plus perverse qu’au cours des 5 dernières années les « guerres justes » conduites au nom d’un interventionnisme moral se sont multipliées, depuis le Kosovo jusqu’à l’Afghanistan et l’Irak. Et que les humanitaires les ont souvent appelées de leurs vœux, par un lobbying intensif auprès des gouvernements et de l’ONU. Or, est-ce vraiment leur rôle que d’encourager la multiplication des interventions d’armes ?

Cette question de la guerre a toujours divisé le mouvement humanitaire. Comme le note Thierry Pech et Marc Olivier Padis, auteurs d’un autre essai consacré aux ONG, Les multinationales du cœur, « en 1979, déjà, le débat sur la guerre humanitaire avait conduit à la scission de MSF et à la création de Médecins du Monde : la branche légitimiste emmenée par Bernard Kouchner considérait que les ONG devait attirer l’attention de l’opinion et faire pencher la décision des responsables politiques ; la branche indépendantiste de Rony Brauman[3] refusant ce mélange des genres. » Le fait que les humanitaires soient de plus en plus assimilés aux forces d’intervention occidentales n’a fait qu’amplifier le malaise.

Alors, comment en sortir ? Pour Padis et Pech, il est devenu impossible de décrire le monde des grandes ONG comme « un territoire sanctuarisé, indemne du pouvoir et du marché. » Les ONG sont sorties d’une adolescence prolongée et c’est tant mieux : « Loin de former un camp retranché de la vertu, insistent-ils, les ONG participent aujourd’hui à un vaste réseau de relations avec les états, les institutions internationales et les acteurs économiques privés. » Un réseau particulièrement fécond, dans lequel ils voient le laboratoire de nouvelles stratégies d’action publique, d’une nouvelle légitimité transnationale. Bref, d’une nouvelle politique de l’humanitaire. « Il faut non seulement saluer les avancées de ces nouvelles interactions, mais il faut les régler plus clairement : transparence des statuts et des fonds, évaluation des résultats, culture de la responsabilité et dimension politique assumée… »

Une politique de l’humanitaire, car c’est bien de cela qu’il s’agit, et ce à quoi D. Rieff s’oppose résolument. « Bien sûr qu’il faut améliorer les règles de fonctionnement, la transparence, mais cela ne changera pas grand-chose ! L’humanitaire doit avant tout rester un contre-pouvoir, neutre. » Le journaliste américain n’épargne pas les critiques à l’encontre de l’un des représentants majeurs de ce nouvel humanitaire politisé : Bernard Kouchner, co-concepteur du fameux « droit d’ingérence » et – ultime symbole – nommé proconsul du Kosovo pour les Nations unies après la guerre. « Autant Rony Brauman est toujours resté farouchement attaché à l’indépendance des ONG, autant pour Bernard Kouchner ou Kofi Annan, l’humanitaire doit être vu comme un des piliers qui soutiennent le nouveau et prometteur ordre mondial. Ordre qui, selon eux, peut être créé dans le vide laissé par l’idée de souveraineté nationale, détruite par la mondialisation, tout comme la montée du mouvement des droits de l’homme et l’incorporation de plus en plus fréquente de ses principes clés dans les lois et traités internationaux.  »

Si les politiques sont, à mon sens, nécessaires dans le développement des Organisations Non Gouvernementales à caractère humanitaire, qu’elles le veuillent ou non, elles demeurent de toute évidence sous leur contrôle plus ou moins direct, ne serait-ce que par le biais de leur participation à leur financement ; c’est d’ailleurs ce que Thierry Pech et Marc-Olivier Padis caractérisèrent d’ « ONG de 3ème génération » dans leur ouvrage Les multinationales du cœur paru début 2004 aux éditions du Seuil :

- Les débuts des ONG : jusqu’aux années 1960, ce mouvement d’ONG est porté par 3 grands courants de pensées : le mouvement caritatif d’inspiration chrétienne, l’internationalisme ouvrier, et le mouvement humaniste.

- La 1ère génération, au seuil des années 68/70, marquée par une culture d’émancipation des esprits et de la pensée : anti-militarisme, pacifisme, écologie, refus du consumérisme, rejet de l’impérialisme, cynisme de la realpolitik. C’est à cette période que l’on voit apparaître des organisations telles que Greenpeace ou encore Médecins sans Frontière.

- La 2nde génération, des accords d’Helsinki à la chute du mur de Berlin, est marquée quant à elle par les débats sur le totalitarisme et la dissidence, les droits de l’Homme – civils et politiques.

- La 3ème génération, de 1989 à nos jours, les ONG se sont imposées sur la scène politique ; les Etats les financent davantage, et sont considérées comme étant des instruments indispensables de démocratisations et de transitions politiques réussies. Cependant, comme le dit David Rieff, elles « doivent rester neutres de tout parti ou tendance politique », au risque de voir leur pouvoir considérablement influencé par des tendances idéologiques pas toujours en phase avec leurs principes de tolérance et de respect basés sur la solidarité.

Pourquoi ? Que permettent les politiques ? Quels sont leurs intérêts à soutenir ce type d’organisations ?

« L’action humanitaire ne se déploie pas contre la politique, encore moins en son sein, mais à côté de lui » écrivit Rony Brauman dans son ouvrage Contre l’humanitarisme. En effet, si R. Brauman a parfaitement raison en écrivant cela, c’est bien que les organisations non gouvernementales demeurent forces de propositions auprès des politiques bureaucrates en apportant leurs expertises (culture de l’urgence, expériences de terrain, réactivité) dans le ou les domaine(s) interrogé(s). Ainsi, alors que l’Etat tente de satisfaire son rôle d’administrateur et gestionnaire de

, de régulateur social et économique à travers ses missions de service public, les ONG, quant à elles, apportent à l’Etat leur soutien en faisant reconnaître une existence publique à un certain nombre de problèmes politiques jusqu’à là négligés. Pouvoir ou contre-pouvoir, telle est toute l’ambiguïté aujourd’hui de ces organisations non gouvernementales. Une chose est sûre, c’est qu’elles bénéficient, pour la plupart, d’un statut consultatif auprès de l’ECOSOC, de l’UNESCO, de l’UNICEF, du BIT et du Conseil de l’Europe. Statut qui, du reste, les crédibilise face aux différents acteurs économiques.

Et la décentralisation ?

Cette année, placée sous le signe (prometteur ?) des élections régionales avec toutes les polémiques que suscita la décentralisation, est, de fait, une année importante pour la vie et le fonctionnement des Associations. En effet, fortement dépendante financièrement de cette tutelle étatique, la décentralisation de certaines responsabilités de l’état aux collectivités risque de geler l’attribution des subventions. En conséquence, il serait intéressant de s’interroger sur l’impact de la décentralisation sur les associations, leur gestion, leurs ressources…

Petit rappel :

- 1ère vague : 1982, sous l’impulsion du Gouvernement Mauroy, les lois Defferre transféraient un certain nombre de compétences administratives aux collectivités dans le but avoué de décharger l’Etat, et par la même occasion, de recentrer son rôle autour de ses fonctions régaliennes.

- 2ème vague : 2004, le Gouvernement Raffarin et le Président J. Chirac annoncaient le ferme objectif de rendre aux collectivités leur autonomie financière.

A fortiori, à évoquer une décentralisation budgétaire de l’Etat aux collectivités, la première réaction serait de penser à une hausse de leur budget en provenance de l’Etat (centralisé) qui leur transfert un certain nombre de ses compétences, et donc, en toute logique, une augmentation des subventions aux associations. Quoi de plus normal, puisqu’il faut bien des finances pour les mettre en œuvre ? Cependant, au-delà d’un transfert de compétences et de budget, la décentralisation suppose aussi que l’Etat laisse aux collectivités le choix de donner les orientations de stratégies politiques qu’elles le souhaitent. De fait, ces dernières peuvent être aussi bien en phase avec les grandes orientations fixées par le gouvernement, que suivre une politique totalement autonome. Bref, c’est à juste titre que l’on parle d’autonomie des régions. Aussi, l’attribution de subventions émanant de leurs nouvelles compétences reste subordonnée aux priorités et aux objectifs que les collectivités se sont fixées, et non à l’enveloppe supplémentaire que l’Etat verse aux collectivités pour « rémunérer » leurs compétences supplémentaires, car, « tout travail mérite salaire ! »

Balancées entre organisations privées et organisations publiques, les Organisations Non Gouvernementales présentent finalement l’éthique dont manquent les entreprises traditionnelles se targuant de déployer monts et merveilles pour la seule satisfaction des actionnaires : profits, bénéfices, dividendes, « stock options », tels sont les maître mots de ce monde capitaliste au-delà de tout humanisme. Les ONG constituent aussi une réelle alternative aux « mécaniques administratives des états souvent corrompus dans les pays qui ont besoin d’aide. »

la Nation

la Bosnie

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